Bénédiction ou malédiction : la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua

Romane Nolwenn Thomas
22 Mars 2016



Depuis 2013, une entreprise chinoise souhaite construire un nouveau canal interocéanique au Nicaragua, permettant de décongestionner la circulation maritime du canal de Panama. Ce projet est confronté à de nombreux obstacles juridiques et environnementaux. Le nouveau canal représente-t-il une bénédiction pour l’économie du Nicaragua ou une malédiction pour les droits de ses habitants et son écosystème ?


Une carte du projet datée de 2014. Crédit : Ekem / Wikimedia Commons (licence CC BY-SA 4.0)
Une carte du projet datée de 2014. Crédit : Ekem / Wikimedia Commons (licence CC BY-SA 4.0)
En février dernier, les populations indigènes du Nicaragua ont décidé de poursuivre en justice le gouvernement. Les élus accusent les députés d’avoir fait pression sur ces populations afin d’obtenir leur accord pour débuter la construction du canal, dont la trajectoire passe à travers les territoires autonomes.

Financé par Wang Jing, un multimillionnaire chinois, le canal aurait pour but d’offrir une alternative au canal du Panama en reliant les océans Atlantique et Pacifique. Depuis le début du projet en 2013, de nombreuses manifestations ont éclaté dans la région malgré les efforts de communication de l’entreprise de Wang Jing, Hong Kong Nicaragua Canal Development (HKND). La HKND a ainsi tenté de promouvoir les avantages du projet et l’impact économique bénéfique que le canal aurait pour le Nicaragua, un des pays les plus pauvres d’Amérique centrale. Afin d’achever le projet avant 2020, la HKND prévoit de construire plusieurs routes qui faciliteront la transportation de matériaux, un aéroport international et – afin d’accroître l’attrait pour le projet – plusieurs complexes touristiques. D’après le Conseil des Affaires Hémisphériques, le canal créera plus de 50 000 emplois qui profiteront aux résidents de la région.

Une avancée technologique

Le projet est sans aucun doute un pas en avant pour l’industrie de la transportation maritime. Le canal sera capable d’accueillir les nouveaux cargos supertankers qui, jusqu’ici, ont dû contourner le continent afin d’atteindre leur destination. La construction d’un deuxième canal aura aussi l’avantage de réduire les embouteillages au niveau du canal du Panama et de rendre la circulation maritime plus fluide dans la région. D’après Wang, le projet est entre de bonnes mains et « confier sa direction à une entreprise chinoise améliore considérablement ses perspectives de réussite ».

Un projet ambitieux, mais à quel prix ?

Au vu des récentes vagues de contestations, le canal du Nicaragua semble loin d’être uniquement avantageux. Le projet traverse les territoires autonomes et agricoles des populations indigènes et menace de déplacer des dizaines de milliers de personnes, d’après Amnesty International. Les manifestations organisées s’opposent principalement à l’approbation du projet par l’Assemblée nationale. En juin 2013, l’Assemblée a promulgué la loi 840 accordant à la HKND une concession présidentielle pour contracter le projet du canal. La concession présidentielle pose problème pour les fermiers dont les terres sont situées sur le chemin du canal. Elle stipule que l’entreprise chinoise achètera les terres à un prix inférieur à la valeur du marché, ce qui laissera les familles habitant la région sans compensation adéquate. D’après Amnesty International, cette pratique est une violation des droits de ces populations, considérant que « sacrifier les droits humains élémentaires de ces personnes pour de l’argent est non seulement moralement douteux, mais aussi illégal ».

Analyse environnementale

Cependant, la mauvaise gestion des droits de propriété et de leur compensation n’est pas l’unique point de controverse. Les environnementalistes ont également démontré que le projet aurait un impact environnemental dévastateur pour les environs. Le canal détruirait près d’un million d’hectares de forêt tropicale et de marécages. De plus, la trajectoire du projet traverse le lac Nicaragua, un trésor national du pays qui représente un réservoir d’eau potable de plus de 8 260 km2, indispensable pour les habitants. En traversant le lac, le canal contaminerait l’eau avec des produits chimiques industriels, menaçant ainsi les nombreuses espèces animales et végétales de cet écosystème.

De plus, le canal serait construit au centre d’une région propice aux ouragans, ce qui rendrait périlleux le voyage interocéanique des cargos et pourrait causer de violentes inondations et coulées de boues.

Les obstacles climatiques, juridiques et environnementaux ont causé de longs délais de construction. À ce jour, le projet stagne et certains doutent que ce dernier puisse arriver à terme.

Notez